Anecdote 07

Adrénaline

A roller, il faut s'attendre à rencontrer n'importe qui. Surtout au volant d'une voiture. Du conducteur ultra prudent au chauffard meurtrier en passant par l'aveugle de service et le stressé de l'avertisseur sonore. Cyril en a d'ailleurs fait les frais. Roller de la première vague in-line, il a suivi l'évolution du comportement de l'automobiliste Lyonnais face à la mouvance du roller. Heureusement pour nous, elle se fait dans le bon sens, bon nombre d'automobilistes digère notre présence sur la chaussée.

Certains demeurent cependant un peu revêche et Cyril est toujours prêt à leur expliquer la conduite citoyenne qu'ils devraient suivre. Le schéma classique est le suivant : Cyril se fait klaxonner et dépasser en trombe par une voiture, il la retrouve au prochain feu et entame la discussion avec eux. L'automobiliste, d'abord énervé, finit généralement par se calmer et par redevenir courtois. Affaire close.

Un lundi, Katia, Cyril et moi effectuions un repérage de parcours pour la randonnée du vendredi. Nous venions de la place des Terreaux par le pont de la Feuillée et remontions la rive droite de la Saône en direction de l'Île Barbe. Après une petite pointe, nous nous retrouvions à traverser l'Île Barbe pour redescendre la Saône sur la rive gauche.

Nous étions en file indienne, Cyril devant, Katia derrière et moi au milieu. Nous n'avions pas fait cinquante mètres qu'une voiture de cylindrée respectable passa en trombe sur les zébras et en abusant lourdement de l'avertisseur sonore. Cyril se laissa aller à la facétie des deux majeurs tendus bien haut. Je concède qu'il n'est pas toujours de bon aloi de la pratiquer.

Nous retrouvâmes la voiture en question arrêtée par un feu rouge. Katia et moi restions en retrait tandis que Cyril se plaçait juste à côté du feu devant la voiture. Une vitre se baissa et le passager lui fit signe de s'approcher. Cyril s'exécuta et vint s'accouder à la portière. Aussitôt, je vis ses lunettes voler, la voiture démarrer sur les chapeaux de roue et Cyril s'accrocher. L'action s'était passé tellement rapidement que nous n'avons pas eu le réflexe de noter la plaque d'immatriculation ni de repérer la marque ou le modèle de la voiture.

En quelques secondes, Cyril était parti loin devant. Katia ramassa les lunettes de Cyril et nous continuâmes notre route pour le rejoindre. Nous l'aperçûmes deux kilomètres et demi plus loin stationné au pont Masaryk alors en réparation. Katia lui rendit ses lunettes et il nous montra l'aspect peu engageant dans lequel son index et son majeur se trouvaient.

Cyril était tout excité. Il nous raconta que la voiture l'avait trainé jusqu'au pont suivant. Ils avaient tenté de lui faire lacher prise en accélérant jusqu'à cent cinquante kilomètres/heure, chiffre qu'il ramena plus sérieusement à cent kilomètres/heure. Ils avaient aussi essayé en le collant contre d'autres voitures, contre le trottoir et enfin en lui retournant et en lui tapant sur les doigts. De ce qu'il avait pu voir, le conducteur se trouvait être une femme et le passager un quinquagénaire.

Le repérage du parcours était bien compromis et nous cherchions que faire pour Cyril. Nous nous sommes arrêtés dans un bar où la patronne lui offrit un verre rempli de glace dans lequel il put tremper ses doigts meurtris. Nous reprîmes notre route et Cyril téléphona à sa mère. Ne voulant pas l'alarmer, il s'inventait un ami qui était tombé en roller et qu'il ne savait pas trop où emmener. Sa mère nous envoya aux urgences de Grange-Blanche.Cyril était content d'avoir pu berner sa mère. Mais sa joie fut de courte durée car deux minutes plus tard, elle le rappelait pour s'assurer qu'il ne lui était rien arrivé de grave.

Par chance, les urgences de Grange-Blanche ne sont pas antillaises : nous n'avons attendu que deux heures avant que Cyril soit examiné. Nous en profitâmes avec Katia pour aller nous chercher à grignoter au Mac Do du coin. L'adrénaline permettait encore à Cyril de tenir debout et d'être réactif.

Le lendemain fut pour lui une autre paire de manche. Il nous fit une petite dépression et végéta toute la journée entre deux douleurs que ses doigts lui imposaient. Il avait quand même pu porter plainte à son commissariat. Nous discutâmes plus tard de ce qui s'était passé et de ce qui lui était arrivé. Il se rendait compte qu'il avait échappé à beaucoup plus grave que deux doigts retournés...